yusuf

Détails

Prénom: Yusuf

Naissance: 1986

Conversion: 2007

Le champ des signes

D’origine espagnole, j’ai été élevé entre catholicisme et athéisme. J’ai vécu mes six premières années avec mes grands-parents. Très croyants, ces derniers m’ont transmis l’amour de Dieu et de Jésus-Christ. Nous allions à l’église, mon grand-père me racontait régulièrement les histoires des Prophètes et, chaque soir, lorsque ma grand-mère me bordait, nous récitions ensemble des prières.  Bien que ces souvenirs soient assez diffus, cette période m’a marqué à tout jamais. L’impact a été réel et tenace, j’ai toujours eu foi en Dieu, et sans réellement Le connaître, je savais qu’Il était une force supérieure, créatrice et bienveillante. Même si ma relation au Divin n’était pas journalière et constante, cela ne m’empêchait pas de m’adresser à Lui dès que j’en éprouvais le besoin, souvent lorsque j’étais au plus mal.

Entre l’âge de six et dix ans, j’ai été confronté à deux évènements supranaturels que, par réserve, je m’abstiendrais de développer ici. L’un concernait des jumeaux – Le très-Haut, dans sa grande sagesse, m’a depuis également donné des jumelles (puisse-t-Il les protéger contre tout mal !) – et le deuxième, qui concernait ma mère, sera, lorsque j’en compris tous les détails, une grande source de réconfort dans ma conversion à l’islam.

J’ai vécu une enfance heureuse mais quelque peu chamboulée, j’ai dû changer à trois reprises de foyer familial et, une fois adolescent, j’ai été placé deux années en internat. C’est d’ailleurs à cette époque que j’ai solitairement renoué avec la prière. Si la première année en internat s’est relativement bien déroulée et m’a permis de faire le point sur ma vie de jeune adolescent, la deuxième année, quant à elle, a été la pire année que j’avais vécue jusque-là. Je ne m’y sentais pas en sécurité, les bâtiments de l’abbaye étaient lugubres et certains surveillants me donnaient la chair de poule. À cette époque, l’absence de mes parents me pesait énormément et la terrible angoisse de devoir retourner chaque dimanche à l’internat pour n’en ressortir que le vendredi m’empêchait parfois même de dormir. C’était en 2001, l’année de l’attaque contre le World Trade Center, impossible de l’oublier. L’internat était majoritairement fréquenté par des wallons et s’il n’y avait pas beaucoup de mixité sociale, autant dire que la mixité culturelle était inexistante. Moi, l’espagnol – de prime abord pas si différent –, j’incarnais pour certains le rôle de bouc émissaire qu’on insultait de « sale arabe » ! Et c’est dans cette confusion que j’en suis arrivé à essuyer des gifles, des insultes et même des crachats des « grands » de l’internat. Le soir, avant de dormir, j’implorais Dieu de me sortir au plus vite de cet endroit. Mais pour être honnête, je n’étais pas uniquement une victime, je dépassais très souvent les limites et, il est vrai que parfois, je ne subissais que le revers de mes actes.

À la fin de l’année, c’était la libération, je me sentais revivre et je n’avais qu’une envie : être dehors.  Pour me sentir libre, j’essayais de passer le plus de temps possible à l’extérieur. J’allais souffler mes 16 bougies et j’adorais déjà sortir en soirée, passer la nuit dehors, m’imbiber d’alcool et m’encrasser les poumons. Toute occasion était bonne pour tenter d’oublier le passé mais aussi, fuir le présent. Ce n’est que deux ans plus tard, lors de vacances avec mon père biologique – que j’avais toujours idéalisé –, que j’ai compris où tout cela risquait de me mener. Ces vacances m’ont marqué au fer rouge, les choses que j’y avais entendues et les idées qui m’avaient traversé l’esprit m’avaient décomposé, j’en étais choqué, bouleversé et, pour moi, plus rien ne pouvait être comme avant. De retour, nous avons entamé un chapitre sur la réforme protestante au cours d’histoire et, pour dire vrai, le sujet m’a passionné du début à la fin. D’ailleurs, à la suite de ce cours, je me suis inscrit au cours de religion protestante. Mal dans ma peau et incompris, je priais Dieu de me venir en aide mais aussi, de m’aider à devenir meilleur.

Le changement a été assez radical : j’ai arrêté de fumer et alors que j’étais en décrochage scolaire depuis deux années, j’ai commencé à avoir d’excellents résultats et même des prix scolaires, j’ai pris un tel gout pour la connaissance et le partage que j’ai décidé que moi aussi je deviendrais un jour enseignant. Par ailleurs, j’ai également arrêté toute consommation d’alcool (et même de sodas)… mais surtout je tentais de me comporter au mieux avec ma famille.  Il était alors clair pour moi que la religion devait prendre une place plus importante dans ma vie, je réalisais enfin mon « hypocrisie » passée, demandant de l’aide à Dieu dans la détresse mais me détournant de Lui, par oubli, lorsque tout allait mieux. C’est à ce moment que j’ai fais le serment de m’appliquer à être un meilleur chrétien et, surtout, quand je me sentirais enfin totalement apaisé, à le rester jusqu’à la fin de mes jours.

Deux années plus tard, un nouvel horizon s’ouvrait à moi, j’entamais des études supérieures. C’était une heureuse nouvelle en soi, car cela n’avait pas toujours été aussi clair que j’allais achever mes études secondaires. Le destin plaça devant moi celui qui allait devenir mon meilleur ami et qui indirectement allait me conduire à l’islam. On partageait les même centres d’intérêts et lui aussi, comme moi, se sentait profondément chrétien et l’affirmait fièrement. Cela peut paraitre triste à dire mais au 21ème siècle, en haute école ou à l’université, assumer pleinement ses valeurs chrétiennes et sa foi en Dieu est parfois considéré comme un peu has-been. Cet ami avait une vision binaire de l’islam et en parlait constamment. Il a d’ailleurs été la première personne à me donner des livres sur l’islam, à me parler du Prophète, des compagnons ainsi que des grands savants de l’islam. Il essayait de me démontrer que l’islam était intrinsèquement mauvais et que seul le christianisme pouvait sauver les Hommes. Personnellement, je restais persuadé que quelque soit la religion : la foi en Dieu, les bonnes actions et la prière, ne pouvaient que rendre meilleurs les individus. L’islam n’entravait pas à cette règle : selon moi, il valait mieux être un bon musulman, qu’un non croyant n’accordant pas de valeur aux actes vertueux ni à la prière. Nous fréquentions des musulmans avec qui nous débattions et passions des heures à parler de tout et de rien. Alors que mon ami tentait de me faire comprendre, au travers de ses observations sur le Coran, la Sunna et l’histoire, que l’islam était un danger pour l’humanité, je n’étais que très rarement d’accord avec les conclusions qu’il tirait. D’ailleurs, il estimait que si l’on s’entendait si bien avec des musulmans, c’était uniquement parce qu’ils n’étaient pas des « bons » musulmans. « Un musulman ne peut pas être l’allié d’un non musulman » me répétait-il sans cesse à ce propos.

Au plus j’en apprenais sur l’islam, au plus j’en appréciais l’essence. Moi aussi je croyais en Dieu et aux Prophètes, à la vie après la mort, je priais Dieu chaque jour, je ne fumais pas et je ne buvais pas d’alcool, je savais que les Hommes étaient tous égaux et « que nul n’est supérieur, si ce n’est par sa piété »… mais j’étais chrétien comme mes ancêtres et je me devais de maintenir cette tradition.

Cette année là, j’ai donné l’argent du sacrifice pour l’’aïd al-adha afin qu’il soit envoyé en Afrique, l’aumône faisant bien partie des valeurs chrétiennes, cette tradition islamique ne pouvait être qu’une bénédiction. Avec le temps, je commençais même à considérer Mohammed comme un « homme saint » qui avait conduit les polythéistes de l’Arabie vers le monothéisme et honoré la mémoire de Jésus-Christ. J’ai également commencé à acheter et à manger halal car l’éthique alimentaire musulmane coïncidait avec la vision que j’avais du monde – par contre lorsque j’étais en famille,  je consommais la viande que l’on me donnait tout en évitant, autant que possible, celle de porc. Je me considérais comme un « chrétien pro-musulman », ce qui signifiait pour moi être chrétien en y ajoutant les pratiques islamiques que j’estimais être bénéfiques à l’humain. Pourtant, j’étais encore loin d’avoir accepté l’islam.

Un jour, après les cours, j’ai revu des vieux amis à la salle de sport. Ils m’ont raconté qu’un ancien camarade à nous s’était converti à l’islam.  J’étais choqué et révolté, sur ce point je rejoignais mon ami à tendance islamophobe et je ne me suis pas gêné d’exprimer ma consternation. Pourquoi se convertir à l’islam alors que l’on peut retourner à son christianisme originel ? Les chrétiens n’ont-il plus d’honneur ni de fierté ? N’ont-ils pas honte de déshonorer leurs ancêtres et leurs traditions ? Que peut bien apporter de plus une « conversion « islam ?

Quelques semaines plus tard, le soir, avant de m’endormir, alors que je récitais mes prières en espagnol, je me suis sèchement arrêté sur les mots : « Marie, mère de Dieu » ! Aussi loin que je me rappelle, il n’avait jamais été question pour moi de considérer – en tout cas, dès le moment où j’ai eu l’âge de raisonner – que la vierge Marie avait enfanté Dieu. Pourtant, je répétais mécaniquement ces mots quasiment chaque soir et leur attribuais même une fonction protectrice. Ce soir-là, j’ai définitivement rompu avec la prière chrétienne. Ces mots ne faisaient pas sens et ne pouvaient donc rien m’apporter de bon. Je n’ai pratiquement plus prié pendant deux mois, les questionnements s’enchainaient et m’empêchaient de continuer lorsqu’instinctivement me mettais à prier. Puis, peu à peu, chaque soir, j’ai commencé simplement à invoquer Dieu de me guider dans la meilleure des voies.

Au plus j’en apprenais sur l’islam, au plus cette religion m’attirait, c’est pourquoi j’ai commencé à demander au Très-Haut de m’envoyer un signe concret. J’attendais un signe clair qui pourrait me bétonner au christianisme ou bien me guider vers l’islam. À cette époque, je portais encore un crucifix en argent autour du cou. Alors, avant de dormir, je demandais naïvement à Dieu qu’Il envoie des anges pour me l’enlever durant le sommeil si Sa volonté était que je délaisse le christianisme. Je souhaitais simplement que les anges le reposent ensuite sur ma table de chevet, le fermoir bouclé. Chaque matin, je vérifiais directement, mais la chaine ne s’est jamais retrouvée, comme espéré, sur la table de chevet. Le fermoir étant fragile, il m’est plusieurs fois arrivé de me réveiller sans la chaine, je regardais alors immédiatement sur ma table, en vain…

L’été, je suis parti en Espagne avec ma Bible et mon Coran. Je dormais, alternativement, chez mes grands parents ou chez mon oncle, mais j’emportais toujours avec moi les deux livres. Une question commençait à m’obnubiler, si Mohammed était un saint homme qui partageait l’amour pour Jésus et avait amené la paix sociale dans les tribus d’Arabie grâce à la foi d’Abraham, alors pourquoi aurait-il menti en réclamant être Prophète ? De plus, le livre qu’il avait rapporté, le Coran, se rapportait davantage aux Prophètes anciens qu’à sa propre personne. Je me devais d’être en phase avec mes conceptions chrétiennes : un saint homme ne pouvait pas mentir, si Mohammed se disait Prophète… Prophète il devait être !

Il n’y avait pas d’autre solution pour moi, pourtant c’était difficile à l’admettre,  j’étais encore aliéné et formaté à résister. L’image transmise du Prophète de l’islam dans la tradition espagnole n’était guère reluisante et puis, comment accepter que Jésus ne soit pas mort crucifié ? En rentrant en Belgique, je me sentais autant musulman que chrétien. C’est l’approche du mois de ramadan et une rencontre particulière qui ont fait définitivement basculer ma foi.

Une après-midi, alors que j’attendais mon tram, un homme est venu m’interpeller pour me demander si j’étais chrétien ou musulman. C’était une drôle de question à laquelle je n’avais moi-même d’ailleurs pas de réponse tranchée. J’ai alors essayé de lui répondre – en me rendant bien compte des incohérences que j’énonçais – que j’étais chrétien mais que j’étais ouvert à l’islam. Aussitôt mes explications terminées, l’homme m’a dit qu’il devait partir mais que l’on allait bientôt se revoir… ceci juste avant de me nommer par mon prénom ! Qui était cet homme et surtout d’où connaissait-il mon prénom ? J’essayais de me repasser la scène afin de répondre à cette question. Mais une deuxième chose me troublait encore plus, alors que je venais de parler à l’instant avec lui, je ne me souvenais déjà plus de son visage, ni de son apparence. Durant des années, j’ai gardé cette mystérieuse rencontre pour moi et d’ailleurs, à ce jour, les personnes à qui je l’ai racontée peuvent se compter sur une main. Cela reste une expérience personnelle qui va au-delà de la rationalité à laquelle nous sommes formatés et qui, dès lors, reste plus facile à écrire qu’à raconter.

Le soir du 12 septembre 2007 (techniquement le 13 septembre,  1er jour de ramadan – car après le maghreb, une nouvelle journée débute par la nuit), j’ai pris la décision de jeûner durant le mois de ramadan. Jusque là, j’avais attendu un signe et j’estimais que rien ne m’empêchait d’être chrétien et d’adopter certains préceptes de l’islam. Mais là, c’en était trop, je me rendais compte que je n’en avais plus besoin : j’étais déjà musulman malgré moi ! Je ne m’en étais pas rendu compte car la métamorphose avait été longue. La remise en question de la foi de mes grands-parents avait commencé à l’époque des cours d’histoire sur la réforme protestante. Comme une chenille, j’avais grandi,  j’avais tissé mon cocon, j’étais passé par un état intermédiaire comme la chrysalide, mais là, il était temps pour moi de m’envoler ! En d’autres termes, j’avais décidé de suivre mon chemin en contournant le catholicisme par le protestantisme, puis, j’avais rencontré l’islam que je gardais auprès de moi, devenant ainsi un croyant hétéroclite, mais là,  il était clairement temps pour moi de voler de mes propres ailes en devenant pleinement musulman. Ce 13 septembre 2007 (1er de ramadan 1428), j’ai prié pour que ma nouvelle histoire ne fasse que commencer car, en ce jour, j’avais définitivement embrassé l’islam.

Ps : Premièrement, je demande au Tout-Puissant de protéger et de bénir l’ensemble des membres de ma famille. Qu’Allāh nous guide ensemble sur un chemin de droiture et qu’Il nous accorde le meilleur ici-bas ainsi que dans l’Au-delà ! (Amin !) Deuxièmement, je présente mes excuses au lecteur pour la maigreur du récit. J’ai tenté, tant bien que mal, de sélectionner et de relater quelques éléments-clés de mon processus de conversion en quelques pages, passant ainsi sous silence de nombreux autres évènements de mon cheminement.

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Yusuf S. L. – Novembre 2017