jérémy

Détails

Prénom: Jérémy

Naissance: 1987

Conversion: 2009

Vingt ans de cheminement pour une conception du monde totalisante

J’écris ce texte pour l’association Euroislam qui rassemble au sein d’un recueil des récits de cheminements spirituels menant à l’Islam, et pour les personnes qui me côtoient dans la vie de tous les jours sans me connaître véritablement. Concernant mon contexte de départ je suis belge d’origine, né dans la région de Tournai en 1987, dans une famille en partie catholique pas/peu pratiquante et en partie athée.

Mon cheminement a commencé à l’été 2003, à l’aube de mes 16 ans. Depuis déjà un certain temps, je m’intéressais au monde de l’invisible. J’ai alors découvert les religions orientales, par l’intermédiaire de livres de type « New Age ». Ces lectures m’ont fait connaître des concepts que je ne connaissais pas. Je me suis posé la question : « quelle conception du monde est vraie ? ». C’est à ce moment que je me suis lancé dans une quête de Vérité. Pendant les années qui suivirent, j’ai fait de nombreuses recherches et lu des livres sur différentes religions, spiritualités et courants ésotériques. Je cherchais sans relâche, un peu désespéré d’ailleurs, car j’avais l’impression que la Vérité avait disparu depuis des siècles et que nous étions condamnés aux ténèbres de l’ignorance (à l’exception d’une petite élite). En 2007, lorsque j’ai eu 20 ans, j’ai commencé à beaucoup m’intéresser à la question politique. En plus de la dimension spirituelle, je voulais que ma conception du monde intègre aussi les dimensions historique et politique. J’étais convaincu, et je le suis toujours, qu’il faut avoir une vision du monde totalisante. Quand je voyais certaines personnes très investies dans les connaissances et les pratiques spirituelles, mais qui délaissaient totalement ce monde, je me disais que la voie qu’elles suivaient était bancale et incomplète. De même pour les personnes qui s’investissaient dans les luttes politiques, mais qui n’avaient aucun intérêt pour les questions spirituelles.

En 2008, l’année de mes 21 ans, je fis une grande avancée dans ma quête. Je découvris le traditionalisme, parfois également appelé pérennialisme. Cette école de pensée, dont le principal représentant fût le français René Guénon, repose sur les idées de Tradition Primordiale et de rejet du progressisme. La Tradition Primordiale est la Connaissance d’origine divine, reçue par l’humanité depuis le début de son existence. Les principes métaphysiques et ésotériques de la Tradition sont immuables. Leurs manifestations exotériques (religieuses) ont des formes différentes en fonction des lieux et des époques. C’est à dire que les rites et les règles peuvent changer en fonction du contexte, bien que les grands principes doctrinaux et moraux ne changent pas. Quant au progressisme, c’est l’idée que l’humanité trouve ses origines dans la sauvagerie et évolue vers un progrès sans fin. Au contraire, pour le traditionalisme, l’humanité est partie d’un Âge d’Or. S’en est suivie une chute qui a entraîné l’humanité dans les ténèbres. Âge après âge, l’humanité s’enfonce davantage dans l’ignorance des grands principes spirituels. Avec de temps en temps un redressement, comme par exemple lors des révélations divines. La chute continuera jusqu’à la fin de l’âge de fer. Quand le chaos et la barbarie seront à leurs combles, l’effondrement final aura lieu et l’Âge d’Or sera alors restauré. Je lus différents auteurs de ce courant intellectuel. Leur conception du monde correspondait à ce que j’avais toujours ressenti et pensé au fond de moi sans toujours réussir à mettre des mots dessus. Qui plus est, la vision du monde enseignée par le traditionalisme est totalisante. À la fois ésotérique et exotérique, spirituelle et politique, individuelle et collective.

René Guénon, ainsi que de nombreux traditionalistes, se sont tournés vers l’Islam. La dernière forme révélée de la Tradition Primordiale, ultime révélation jusqu’à la fin de l’âge de fer et la restauration de l’Âge d’Or. La révélation islamique est totalisante, c’est une conception du monde qui reprend tout : un enseignement ésotérique, des pratiques religieuses, une Loi Sacrée à suivre (autant individuellement que collectivement, autant pour le culte que pour les actes de la vie quotidienne), etc. En mai 2009, quelques semaines avant d’avoir 22 ans et près de 6 ans après le début de mon cheminement, je m’engageais à mon tour dans l’Islam. Cette étape fût la fin d’une époque, mais pas la fin du cheminement. J’avais trouvé la conception du monde totalisante que je cherchais depuis toutes ces années. Mon cheminement allait pouvoir passer à l’étape suivante.

Les premières années, je découvris progressivement l’Islam, sans me rattacher à un courant en particulier. Sunnisme, soufisme, chiisme, etc., je découvrais peu à peu. En 2012, je décidais de m’enraciner dans le sunnisme. Je fréquentais des sunnites de diverses tendances (soufis, sunnites traditionnels, salafistes) afin d’avoir une vision globale et ne pas m’enfermer dans une attitude sectaire. Je nouais alors de nombreux contacts et des amitiés naquirent, j’allais fréquemment à la mosquée, etc. Ce fût une belle époque sur les plans relationnel et intellectuel. Cette situation dura jusqu’en 2015. Cette année là, quand j’eus 28 ans, un de mes amis qui avait découvert par hasard qu’un membre de sa famille éloignée était un chiite connu (Smaoui Mohamed Tijani, auteur du livre « Comment j’ai été guidé »), me proposa qu’on se penche ensemble sur ce courant de l’Islam. J’acceptais sa proposition. On se documenta sur le chiisme (livres, vidéos et mosquée chiite pour poser des questions). Je proposais à un cheikh libanais de lui sortir tous les arguments anti-chiites des sunnites pour voir s’il arriverait à les contredire. Il accepta le défi et cassa tous les arguments un par un. Je continuais d’étudier sérieusement ce courant jusqu’à être convaincu de sa véracité. Tout comme pour le sunnisme par le passé, je me penchais sur les tendances internes à l’Islam chiite pour en avoir une vision globale. Après quelques mois, j’avais une vision claire de la question et je décidais de m’enraciner dans le chiisme duodécimain. Je restais néanmoins attaché à l’idée d’unité et je continuais de fréquenter des sunnites. J’allais toujours à la mosquée sunnite, en plus de la mosquée chiite.

En 2016, les choses commencèrent à se compliquer. Puisque je commençais à avoir un bagage de connaissances suffisant, je décidais de parler ouvertement de mon passage au chiisme auprès de mes amis sunnites. Avec certains, ça se passait plutôt bien. Évidemment, il y eu des interrogations, des questions et des débats. Mais ce fut dans un climat serein et les amitiés restèrent intactes. Avec d’autres par contre, ça se passa très mal. Hostilité, débats houleux, agressivité, et pour finir des menaces de mort. Certaines personnes ont également coupé les ponts avec moi. Il faut se rappeler qu’à cette époque la guerre en Syrie et en Irak était à son comble. Ce conflit issu du printemps arabe qui de base se présentait comme une opposition entre les partisans d’une société religieuse et les partisans d’une société laïcisée, s’était finalement transformé en une terrible guerre civile (pour ne pas dire guerre de religions) entre sunnites et chiites. Sans oublier qu’à la même période, cette guerre s’était exportée en Occident à travers les attentats terroristes sanglants en France, en Belgique et ailleurs. Le climat était délétère et les extrémistes sunnites étaient déchaînés. L’hostilité et les menaces de mort m’ont clairement refroidi. Un prêche haineux anti-chiites dans une mosquée sunnite où j’allais de temps en temps m’a achevé. Je gardais quelques amitiés avec des sunnites, toujours soucieux de l’unité et d’éviter le sectarisme. Mais je limitais mes contacts avec certaines personnes menaçantes et je cessais d’aller dans les mosquées sunnites. Quant aux mosquées chiites, je ne les ai pas fréquentées longtemps car elles sont peu nombreuses et éloignées, contrairement aux mosquées sunnites qu’on trouve partout. À partir de ce moment, mon cercle relationnel s’est quelque peu réduit. Cependant, j’avais un cercle d’amis chiites et d’amis sunnites avec qui je restais lié et que je voyais fréquemment pendant les années qui suivirent.

En 2019, il y eut de nouvelles complications. Dans le petit groupe de chiites dont je faisais partie, certains ont développé des croyances extrémistes et antinomistes. Leurs conceptions étaient de plus en plus éloignées du chiisme duodécimain, bien qu’ils continuaient de s’en revendiquer. Ils se prenaient pour une élite qui n’était plus soumise aux règles et aux rites (antinomisme). Leur égarement fut une épreuve, sur le plan des relations humaines, pour ceux d’entre nous qui restèrent fidèles aux règles et aux rites exotériques de la religion. Une cassure était en train d’apparaître avec ces extrémistes chiites comme par le passé avec les extrémistes sunnites. Dégoûté par tous ces événements (ceux de 2016 et ceux de 2019), je m’intériorisais. Je ne voulais plus extérioriser mon adhésion et ma pratique de l’Islam. Je ne voulais pas prendre le risque d’encore me retrouver avec des extrémistes (qu’ils soient sunnites ou chiites, peu importe). Et je ne voulais pas que des non-musulmans m’assimilent faussement à ces sinistres personnages si je leur disais être musulman. Le pire était encore à venir.

En 2020 et 2021, ce fut la chute finale. Le monde s’enfonçait dans l’hystérie due au Covid. Le confinement, la perte des relations sociales (et du travail parfois), le couvre-feu et la pression pour se faire vacciner ont été des épreuves très dures. Et c’est dans les épreuves qu’on se révèle aux autres et à soi-même. C’est dans les épreuves que notre vrai visage apparaît. Il y eut deux événements majeurs durant ces années. Tout d’abord une vague d’apostasie sans précédent. Par le passé, on pouvait être très occasionnellement confronté à des personnes qui apostasiaient. Mais sur 2020 et 2021, j’ai connu entre 10 et 12 personnes qui sont sorties de l’Islam. Certaines de manières ouvertes en déclarant clairement qu’elles considéraient l’Islam comme étant faux. D’autres de manières insidieuses, en reniant les principes les plus fondamentaux comme les obligations et les interdictions. Dans toutes ces personnes que je connaissais qui ont quitté l’Islam, il y avait de tout : des sunnites, des chiites, des musulmans d’origine et des musulmans convertis. Personne n’a été épargné. Le second événement qui s’est produit est une épreuve qui a touché l’un de mes amis, un chiite éloigné de tout extrémisme et attaché aux rites et aux règles de la religion (les obligations et les interdits). Il s’est retrouvé durant le premier confinement entouré d’extrémistes chiites. Ils ont révélé leur véritable visage en sa compagnie. Menaces, violences physiques, etc. Tout ça s’est très mal fini. Je profite de ce point pour faire une petite parenthèse. Quand les ennemis de la Tradition Primordiale veulent la détruire, ils l’attaquent d’abord extérieurement. À travers les persécutions, la promotion des idéologies athées et matérialistes, etc. Quand ils n’arrivent pas à la détruire de l’extérieur, ils l’attaquent de l’intérieur par infiltration. Les extrémistes chiites et sunnites font partie de ces infiltrés. Il y en a également d’autres. Je ferme ici la parenthèse.

Suite à tous ces événements ma vie sociale est devenue proche du néant. Je vois des amis peut-être 3 ou 4 fois par an, alors qu’avant c’était plutôt 3 ou 4 fois par mois. Fatigué de tout ce qui s’est passé, j’ai tenté en 2022 de rassembler des traditionalistes de diverses religions sans mettre l’Islam en avant. Le projet fut un échec, il s’est achevé il y a quelques semaines. Nous voilà arrivé en juin 2023. Mon cheminement a commencé il y a 20 ans. Ma conversion à l’Islam a eu lieu il y a 14 ans. Mon passage au chiisme duodécimain il y a un peu plus de 7 ans. Il y a eu des hauts et des bas. Du bonheur et du malheur. Quelle sera la suite ?

Il est temps de conclure ce texte. Qu’est-ce que mon cheminement m’a apporté ? À travers le traditionalisme, il m’a apporté une conception du monde correspondant à ce que j’avais toujours ressenti et pensé (l’idée de Tradition Primordiale et le rejet du mythe du progrès) mais sur laquelle je n’arrivais pas nécessairement à mettre des mots. Pour la première fois, par le traditionalisme, j’ai découvert un ensemble doctrinal intégrant de grands principes généraux dans lesquels je me reconnaissais. À travers l’Islam, mon cheminement m’a apporté de nombreux principes doctrinaux qui précisent les grands principes traditionalistes. Ainsi qu’une dimension pratique recouvrant tous les aspects de la vie : les règles reprenant notamment les obligations et les interdits, qu’il s’agisse de pratiques religieuses ou de la vie de tous les jours, de l’individuel ou du collectif. Enfin, à travers le chiisme, mon cheminement m’a apporté une vision claire de la voie à suivre en fonction du contexte historique, quel que soit le domaine (spirituel, politique, etc.). Et il m’a apporté une dimension « mystique », une véritable vie spirituelle intérieure et un réenchantement du monde.

 Jérémy, juin 2023