Détails
Prénom: Benoit
Naissance: 1963
Conversion: 1988
Les grains de la conversion
Je m’appelle Benoit Abdallah Mouraux. Né à Charleroi le 25 mai 1963, je me suis converti à l’Islam officiellement le 27 septembre 1988.
Depuis plusieurs mois déjà, mon ami et frère Denis m’invite à rédiger le récit de ma conversion à l’Islam, mais je me suis à chaque fois heurté au mur de la page blanche.
Je dois constater combien il m’est difficile de parler de ce choix personnel et profondément intime aboutissement d’un cheminement, d’une réflexion née de la prise de conscience de signes clairs. C’est probablement ces derniers qui font que ce ressenti personnel rend cette histoire difficile à partager.
Chaque histoire d’amour est différente et même si on est tenté de chercher des similitudes entre l’une et l’autre, chacune reste personnelle et intime. Leur seul point commun est en quelque sorte de vouloir atteindre le sommet de la Montagne afin d’y découvrir Celui qui nous a ouvert peu à peu les yeux de notre cœur.
Je suis né en mai 1963 à Charleroi au sein d’une famille chrétienne catholique. Mes parents étaient une sorte de couple mixte : belge/suisse, francophone/néerlandophone, chrétien catholique/chrétien protestant, ma mère étant née d’un mariage entre des parents de rites différents, l’un était chrétien protestant, l’autre était chrétien catholique. Le mariage entre une femme chrétienne catholique et un homme chrétien protestant ne fut pas chose aisée. Mais mon grand-père put épouser ma grand-mère maternelle en s’engageant à élever tout enfant naissant de leur union dans la religion chrétienne catholique !
Mes parents se marièrent fin des années 50 et vinrent habiter à Fleurus dans la région de Charleroi. Mon père y exerça la profession de médecin généraliste et ma mère celle de femme au foyer.
Aller à l’église appartenait au mode de vie du dimanche mais suivait aussi l’année liturgique avec plus ou moins de ferveur. La croyance et ses implications n’étaient aucunement remises en question. Une foi peut-être simple mais pragmatique en ce sens qu’elle ne s’opposait en rien au modus vivendi de l’époque et aux valeurs auxquelles mes parents adhéraient.
Mes souvenirs d’enfance restent flous cependant comme tout enfant issu des familles bourgeoises de l’époque, un parcours tout tracé m’attendait. Dès 6 ans, j’entrais au Collège des Jésuites de Charleroi pour y suivre l’ensemble du cursus primaire et secondaire. Ce cursus était aussi marqué par les moments forts du chrétien baptisé dans la religion catholique à savoir la préparation de sa première communion au cours de sa première primaire, et ensuite, vers 12 ans le renouvellement de la profession de foi au cours de la communion solennelle. Ces étapes étaient le passage obligé, le contrat tacite entre l’école et les parents. Mais, tout au long de ce cursus, au quotidien, l’exercice de la pratique de la prière au début des cours, de la confession une fois par semaine, de la messe de classe une fois par semaine en plus des cérémonies propres à Noël, au Carême, à Pâques, à l’Ascension et à la Pentecôte… tout cela participait à l’entraînement de la foi dans un moule à penser bien rôdé.
A l’adolescence, j’aimais bousculer mes frères et sœurs pour pouvoir assister à la messe du matin et parfois pouvoir être enfant de chœur. La pratique faisait partie du quotidien sans vraiment y réfléchir. Evoluant vers la fin des secondaires, je me rendis compte peu à peu que la messe dominicale en famille était un rituel social. Il était important que le médecin de famille se montre avec sa famille à la messe dominicale même s’il s’y assoupissait !
Quand l’Eglise accorda à la messe du samedi soir la même valeur que celle du dimanche matin, quelle belle opportunité ce fut pour les jeunes de l’époque de pouvoir raccourcir ce temps qui peu à peu nous pesait car de plus en plus souvent ressenti comme une obligation socio-familiale au lieu d’un temps de communion et de recharge spirituelle.
Un évènement me marqua lorsqu’à l’âge de plus ou moins 10 ans, j’ai eu l’opportunité d’accompagner mes parents en Turquie. J’ai été particulièrement surpris lorsque dans un petit village d’Anatolie, je fus réveillé par un chant matinal d’appel à la prière, mon 1er adhan ! Au-delà de la surprise, ce chant m’a particulièrement séduit.
Adolescent, je ne me lassais pas de m’interroger sur le sens de la vie, sur l’importance de la religion, sur les préceptes reçus. Ayant un grand-oncle maternel qui était curé d’une petite paroisse à proximité de Fribourg en Suisse, l’opportunité me fut donnée de pouvoir aborder des points plus flous à ma compréhension, entre autres le concept de la Trinité. Dans la pratique quotidienne, même si le concept pouvait se comprendre intellectuellement, au cours des dernières années du secondaire chez les Jésuites, il me manquait quelque chose de plus authentique, de plus vivant, de plus intérieur.
Une fois mon cycle secondaire terminé, je quittai Charleroi pour Liège afin de débuter une formation en psychologie à l’université de Liège. C’était le début des années 80 et surtout le début d’une ouverture au monde, aux personnes, aux autres modes de pensées.
Passant de nombreux moments dans la cité universitaire, j’y ai eu mes premiers contacts avec des personnes issues du monde arabe. Tantôt issues de la Syrie et du Liban et plutôt chrétiennes, tantôt issues du Maghreb et plutôt musulmanes. J’observais que parmi tous ces étudiants d’origines diverses, de cultures et de religions différentes, nous étions quelque part tous les mêmes. Ni la langue, ni la culture, ni la religion n’étaient obstacles à ce que des jeunes pouvaient vivre.
C’est ainsi que je tombais amoureux d’une jeune marocaine. Un premier amour qui m’amena quelques années plus tard à séjourner plus ou moins deux mois au Maroc, en vue de demander sa main. Malgré une famille ouverte, des enfants en Belgique, d’autres dans des universités marocaines, malgré mon intention de me convertir à l’Islam, je fus confronté à un refus de la part du père qui estimait que je pourrais faire ce que je voulais, je ne serais jamais vraiment un musulman comme eux ! Ce fut la douche froide, une grande tristesse et désillusion. Je mis donc un terme à mon séjour et suis rentré en Belgique. Quelques jours après mon retour, Liège était secouée en octobre 1983 par un tremblement de terre assez impressionnant.
Mon chemin de vie se poursuivit, et rien n’étant jamais définitivement bloqué, une autre histoire d’amour m’orienta vers une jeune femme de mon cours passionnée par le yoga et le bouddhisme tibétain. Je n’y connaissais rien ! Totale découverte tant pour le yoga que pour le bouddhisme tibétain. Mais le moment le plus marquant fut un beau soir, la décision de prendre la route pour le sud de la France afin de rejoindre un ashram en plein cœur des Alpes de Haute Provence. Sous le plus grand Bouddha d’Europe, je pris place dans une grande salle de prières dans laquelle les femmes d’un côté et les hommes de l’autre formaient deux rangs impressionnants de personnes en pleine concentration de la récitation du son OM. Une puissance se dégageait à chaque prononciation de ce son et j’en frémissais intérieurement. Pour la première fois, je ressenti une vibration intérieure. Je découvris, comme il existait chez les Chrétiens dans une autre « configuration » et pour d’autres récitations, le chapelet.
Cette idylle amoureuse se termina amicalement et quelques années plus tard à quelques semaines du mois de juillet 1987, un ami de cours qui était en couple avec la sœur de mon ex., me proposa de me rendre au Maroc pour une mission bien précise. Sur base d’un budget et d’un modèle souhaité, je devais chercher un véhicule, l’acquérir, l’immatriculer et le descendre au Maroc. En échange, je pourrais rester le temps qu’il me plairait. Au terme d’un voyage de quelques jours, je me retrouvai dans un nouveau quartier résidentiel de ce qui allait devenir l’extension de Kénitra.
Pour moi, il s’agissait de profiter de vacances mais aussi âgé de 24 ans, en conflit avec mes parents et ne pouvant poursuivre mes études, je sentais que c’était le moment d’un tournant où des choix de vie allaient devoir se poser.
L’un de ces premiers choix allait se poser à moi de façon imprévue.
A quelques jours de mon départ, une rencontre alla changer le cours de ma vie. Un coup de foudre, un voyage vers l’intérieur du Maroc dans un village à équidistance entre Meknès et Fès, un accueil chaleureux dans une famille charmante, une demande en mariage mais à la seule condition de ne pas être contraint, pour avoir cet accord, à devoir me convertir et à mon étonnement une réponse positive ! Sur le voyage du retour, la rencontre avec un homme d’affaires ayant ses entrées à l’ambassade de Belgique et qui me promit d’aider ma future épouse à avoir ses papiers rapidement. La parole fut tenue et mi-septembre 1987, ma future épouse arrivé à Liège. Nous nous y mariâmes début octobre 1987. Ses frères étaient absents, la moitié de mes frères et sœurs également. Ce fut donc un mariage civil suivi d’un repas dans la plus grande intimité avec les témoins, mes parents, des amis et amies respectifs.
Si je ne me suis pas converti pour pouvoir épouser celle qui avait illuminé mon cœur, je dois rester honnête et reconnaître qu’indirectement elle a néanmoins été un élément déclencheur dans ma recherche de développement personnel.
D’une part je trouvais normal de m’intéresser à la religion de ma partenaire, d’autre part je restais avec un vide intérieur.
En recherche mais sans savoir de quoi, je déambulais dans les rues de Liège et je me trouvai face à la devanture d’une libraire de livres en rapport avec l’Islam. Je poussai la porte et le libraire Hassan m’accueillit chaleureusement. Lui-même était marié avec une belge, et naturellement, la conversation s’engagea. Je sortis de chez lui avec un Coran en arabe en signe de cadeau symbolique pour mon épouse mais aussi avec le nom de deux belges convertis, Omar et Youssouf, qu’Hassan m’invita à rencontrer.
Dans les semaines qui suivirent, rendez-vous fut pris avec ces deux frères qui avec Hassan furent en quelque sorte mes parrains m’accompagnant sur le chemin qui allait mener à la conversion.
Tous les trois, selon leur approche personnelle et leur expérience, me parlèrent d’un aspect de l’islam plus méconnu et souvent mal compris par les musulmans eux-mêmes à savoir le soufisme, présenté comme la vision ésotérique et mystique de l’Islam.
Ma curiosité fut piquée au vif et l’invitation me fut lancée de me joindre à eux pour participer à une réunion se déroulant dans le centre de Bruxelles. C’est ainsi que pour la première fois, je me trouvai plongé dans une soirée consacrée à la lecture du Coran, à des invocations, à des chants.
Non arabophone, je ne comprenais strictement rien. Cependant étrangement mon corps était parcouru de multiples sensations. Je ressentais des émotions de plus en plus intenses qui provoquaient des frissons me parcourant tout le corps. La soirée se termina par un de ces repas qui me fera découvrir de multiples saveurs mais surtout une grande chaleur et fraternité non feinte. C’était comme si toute la soirée de lecture et d’invocations avait fait basculé l’ensemble du groupe dans une autre dimension celle de l’Amour et ses multiples signes tels que l’acceptation, la tolérance, le non jugement, l’accueil, la générosité, la bonté, la fraternité, la chaleur des cœurs, …
En pleine nuit, de retour vers Liège, rendez-vous fut pris pour une seconde soirée quand l’occasion se présentera à nous.
Avant cette deuxième soirée, j’avais été invité à rencontrer le responsable de cette structure religieuse, appelée zaouïa. Ce responsable, appelé aussi le moqadem, se prénommait Lahcen. Il m’accueillit chez lui à bras ouverts. Autour d’un verre de thé à la menthe, c’était l’occasion de faire plus ample connaissance, de discuter et d’échanger autour de questions et réponses par rapport à mes connaissances, mes attentes, ma perception ….Il me parla du chapelet au 99 grains comme les 99 noms d’Allah, il me parla des invocations, il me parla de ce qu’on nomme dhikr et qui consiste en la répétition de divers noms d’Allah ou invocations, il me parla de la Voie appelée tariqa boutchichiya du nom de son maître, shaikh, qui se nommait Sidi Hamza al Qâdiri al Boutchichi.
Il me parla aussi bien évidemment de l’Islam, de ses piliers et de leur place essentielle dans la pratique du soufisme. Le plus surprenant, c’était le naturel, le climat apaisant et serein. A aucun moment, je n’ai ressenti une pression, une obligation pas même une invitation à me convertir
Quelques semaines plus tard, alors que tout cela avait eu le temps de mûrir en moi, l’invitation d’assister à une deuxième soirée me fut lancée. Au cours de cette soirée, je découvris les chants soufis appelés samaa et mon cœur comme un diapason se mit à l’unisson. J’étais comme les cordes d’un instrument et je ne cessais de vibrer.
Dans cet état particulier quasiment unique par l’intensité des émotions indescriptibles ressenties, je me tournai vers le responsable de l’assemblée (le moqadem) et lui fit comprendre que j’étais prêt à me convertir et à être initié. Ce moment signa mon engagement comme disciple (mourid) de la Voie du cheminement spirituel et de cette aspiration à parvenir à des états successifs menant humblement vers plus de « connaissance » mais aussi de « pureté » intérieure pour peu à peu être capable de goûter à ce nectar de l’Amour Divin.
Comme je le disais au début, chacun dans son cheminement a pour objectif d’atteindre le sommet de la montagne. Au final peu importe la voie choisie, l’important est que chaque voyageur se sente à l’aise et en sécurité sur la voie qu’il a été amené à emprunter.
Dans ce qui m’a poussé à franchir le pas, c’est ce ressenti indescriptible dont j’avais eu un bref aperçu lors de mon passage en cet ashram des alpes de Haute Provence. De même, comme la répétition du son OM avait provoqué en moi quelques vibrations, la répétition du Nom d’Allah m’a carrément bouleversé, figé, fait vibré intérieurement !
La découverte du chapelet lors du séjour à l’ashram était un avant-goût de ce chapelet cher aux soufis et combien précieux quand dans des moments de calme, vous pouvez l’égrainer peu à peu en tentant de goûter la saveur du Nom de notre Créateur.
De retour de cette deuxième soirée, j’informai mon épouse que je m’étais converti et que j’avais choisi le prénom d’Abdallah. Jamais je n’ai connu une nuit aussi claire confirmant combien mon choix était le meilleur, le plus juste, le plus adapté à ce que je recherchais au niveau spirituel. Un « rêve » étrange me surprit en pleine nuit : un frère chantait l’adhan, et tous les frères devant lesquels je m’étais converti et j’avais été initié se trouvaient avec moi alignés sur une ligne derrière le maître que je n’avais par ailleurs pas encore rencontré physiquement.
La suite de l’histoire est comme je le disais telle une histoire d’amour mais dans cette histoire la certitude en l’Être aimé ne bouge pas, juste notre comportement se trouve parfois impacté par divers épisodes de vie qui pourraient laisser croire à des proches ou des observateurs extérieurs que notre amour et notre foi en Lui ont faibli. Il n’en est rien car ce qui est formidable reste cette certitude que le retour et le refuge auprès de notre Seigneur est à n’importe quel moment non seulement possible mais apaisant et rassurant nous apportant confiance, pas nécessairement en nous, mais bien sur la voie à suivre pour avancer pas à pas vers plus de sérénité, de paix et d’amour.
J’ai lié expressément ce récit de conversion, ce récit d’Amour avec trois grandes rencontres amoureuses dont chacune a été un signe vers la Voie à suivre.
Pour terminer, vous l’aurez constaté, je ne vous ai pas parlé de cours, de livres, etc…. car mon parcours a été balisé par ces signes, ces vibrations, ce ressenti qui à côté de la compréhension intellectuelle et l’acquisition de quelques connaissances était ce qui pouvait me convaincre. L’Amour ne peut se comprendre, Il ne peut que se ressentir, se goûter, se vivre.
En plus du message contenu dans la sourate Al-Fatiha et dans la sourate Al-Ikhlâs, la récitation de la profession de foi s’inscrivait pour moi dans le prolongement de ma foi et non comme une rupture.
Je ne vous parlerai pas ici de l’après conversion, des difficultés d’insertion dans la famille, le cercle d’amis et le monde professionnel pas plus que certains sentiments de frustration face au peu de tolérance et d’ouverture d’esprit de personnes pourtant proches de vous.
Je ne vous parlerai pas davantage ici des différentes phases ou cycles de vie de ma foi pas plus que liés à ces cycles mes apprentissages divers.
Peut-être un jour, ce mini récit aura une suite si Dieu le permet.
Que Dieu vous protège et vous apporte dans le cœur de chacun et chacune d’entre vous la lumière utile pour garder confiance en votre cheminement. Que ce soit sur la route de plaine, que ce soit sur le chemin de montagne de plus en plus escarpé, une pause s’avère parfois nécessaire et salutaire. Rien ne sert de se précipiter, s’écouter reste important. Comme l’alpiniste seul ou en cordée avec son guide, l’important est d’avancer et au fur et à mesure que le Sommet se rapproche ressentir cette vibration intérieure qui nous donne la force et la volonté d’aller encore plus haut jusqu’à l’ultime rencontre.
Benoit – avril 2020