Détails
Prénom: Alain
Naissance: 1975
Conversion: 1997
La petite mosquée dans la prairie
Bonjour, Salam, Paix,
Me voici donc dans l’expérience de la présentation et du cheminement de ma (re)conversion.
Pour se faire, je me dois de repartir et expliquer un peu mon chemin de vie pour que tout le monde puisse se faire une idée, aussi bien sur le plan spirituel que socio-anthropologique.
Je suis né, Alain Christophe Serge, le 4 janvier 1975. Trois prénoms qui au niveau de la conception en disent déjà long. Rien de traditionnel dans le don de ces prénoms. Aucun aïeuls côté paternel ou maternel ne s’étaient appelés de la sorte. Il s’agissait juste de « mode » ; ma mère aimait les prénoms Christophe et Serge, mon grand frère, 8 ans à l’époque, aimait le prénom Alain ; voilà que mon sort était scellé 😊.
Belge de naissance, d’ADN conscient du moins, j’ai grandi au sein d’une famille catholico-athée. Mon père était ouvrier, ma mère employée. J’ai grandi dans des logements sociaux, dans le centre de Bruxelles, lieu désormais célèbre pour la traque de réfugiés, les environs du WTC et du parc Maximilien, jouxtant presque la gare du nord.
Le quartier présentait un mélange de cultures variées et le reflet de l’histoire des émigrations. Nous avions la rue des espagnols, des italiens, des grecs, des marocains, un peu plus loin, du côté de la chaussée d’Haecht, des turcs. Le niveau économique était relativement bas, les logements sociaux accueillant principalement des familles à revenus réduits ou limités.
Mes parents s’y étaient installés dès leur construction terminée, vers 1974. Mon père, travaillant la nuit comme chauffeur pour les imprimeries Rossel, avait un salaire modeste mais suffisant pour nous permettre de bien vivre, et nous prémunir du souci alimentaire. Une chance que nous n’avions pas tous à en croire les dires de mes amis du « bloc » ou du «coin ». Nous vivions avec une pluralité de disciplines ouvrières et quelques « cas sociaux » (mention définie subjectivement par des instances que l’on ne voyait jamais pointer le bout du nez « chez nous »).
J’ai fait mes études dans une école du nord de Bruxelles, aujourd’hui Athénée Royal Rive Gauche, anciennement Athénée Royal Marcel Tricot. Cet établissement faisait partie du programme d’écoles dites « à discrimination positive ». Pour le jeune que j’étais, je ne voyais pas la positivité dans la discrimination et pour tout dire, aucun d’entre nous ne se considérait véritablement discriminés. Ces considérations extérieures n’avaient que très peu de résonance entre nous. C’était à 1000 lieues de nos préoccupations quotidiennes. Nous étions dans une école, bon gré, mal gré un point c’est tout. Une commune vivante, au paysage changeant au fil des années. Mais l’école était un microcosme où nous retrouvions tous les éléments que nous vivions au dehors, sans plus ni moins de discriminations. Chacun étant le reflet fidèle ou non de ses parents, au gré des expériences enfantines et juvéniles.
Mon quartier comme mon école, tous deux étaient multiculturels et pluricultuels (espagnols, grecs, marocains, italiens et, bien entendu, belges – catholiques, athées, musulmans, juifs).
Du coup, dès mon plus jeune âge, j’ai baigné dans cette mixité et celle-ci m’a rapidement attiré parce que je m’y sentais bien. M’autoproclamant très tôt étudiant de la nature humaine, j’ai toujours eu cet œil curieux pour les différences entre les individus et le lien avec leur(s) culture(s).
Comme tout adolescent « en construction », j’ai cherché une voie, celle de la futilité d’abord via la société de consommation à outrance dans laquelle nous sommes jetés de plus en plus jeune. Pour autant, j’avais un besoin de spiritualité que je ne m’expliquais pas. Epris de lecture, j’ai donc très tôt été au contact de la bible et ensuite seulement, le coran.
Cette soif d’en apprendre plus sur l’autre et sur ce Dieu dont parlaient de nombreuses personnes autour de moi, catholiques et musulmans principalement, m’a permis de me lancer dans une recherche tant historique que spirituelle sur le divin dans son ensemble.
Et c’est bien plus tard, dans mon cheminement, que j’appris que mes origines se situaient non pas à Bruxelles mais à Marrakech ! En effet, on me dévoila que mon père biologique était marocain et non belge comme l’homme que j’avais appelé (et que j’appelle toujours) papa depuis ma naissance. Fruit du hasard, du destin ou d’un tabou inconscient vivant dans la famille, j’avais toujours eu ce sentiment de «venir d’ailleurs».
Durant ce cheminement, j’ai eu l’opportunité de rencontrer plusieurs personnes référentes dans le domaine religieux ; Un abbé, un professeur de religion islamique (et conférencier) assez connu en Belgique et en France (rencontré grâce à un de mes « demi-frères ») avec qui j’ai eu de longues heures, jours et semaines de discussions débridées où je me plaisais à faire l’avocat du diable et poser 1001 questions sur mes lectures, mais également Tariq Ramadan que j’ai eu l’occasion de lire, écouter et suivre dans des cycles de formation, sur plusieurs années, dans le cadre de l’organisation « Présence Musulmane » ou via ses cours sur l’éthique bien plus tard. Et aussi Ahmed Deedat, sorte de premier télé-évangéliste musulman anglophone, spécialiste du débat public.
Et c’est après plusieurs lectures tant dogmatiques que spirituelles, que j’ai senti cette inclinaison vers l’islam. D’abord parce que cette religion me semblait la moins « accaparée » humainement mais également parce qu’elle me permettait une relation verticale directe avec le divin, sans intermédiaires officiels ou clergé s’érigeant des droits que Dieu ne leur avaient pas octroyés. J’avais 19 ans. Après 2 ou 3 ans donc, j’ai voulu me rappeler au bon souvenir de mon souffle intérieur, et ai décidé de me reconvertir. Je venais de renaître à Dieu.
Avant l’officialisation et la formalisation de ma reconversion via le centre islamique de Bruxelles s’en sont suivies plusieurs étapes dans mon cheminement que j’appellerai humblement le « classique », sans avoir la moindre notion de psychologie ou sociologie à cette époque-là. J’ai tout d’abord naïvement cru, voulu prendre un prénom à consonance « arabe » pour signaler, marquer, revendiquer mon appartenance cultu(r)elle.
Il s’agirait de Salaheddine, en référence au Saladin historique de la dynastie ayyoubide, pour deux raisons : d’abord la signification du prénom (rectitude ou intégrité de la Religion/Foi) et ensuite, en tant que féru d’histoire, le trajet de ce dirigeant était impressionnant et inspirant.
Par la suite, de cours en formation, en séminaire, j’ai appris ma religion sur des fondements théoriques classiques, le dogme, la jurisprudence subjective et « de vitrine », à savoir ce que l’on apprend aujourd’hui dans tout cours de religion islamique, les 5 piliers de l’islam, les 6 piliers de la foi, l’eschatologie « de la mort qui tue ». Les grands principes édictés du « fais pas ci, fais pas ça », aussi connus sous le nom de « Halal/Haram », le licite et l’illicite. Cadre séculaire d’une communauté frileuse de s’ouvrir vers l’extérieur, vers l’autre pour rayonner mais aussi prendre ce que ce nouvel interlocuteur pourrait lui apporter. Après tout, ne sommes-nous pas la communauté du juste milieu ?
Par la suite, la vie m’a amené à suivre des études de traduction en anglais et espagnol, diplôme qui ne me servirait que par la résonance qu’ont des études supérieures auprès des entreprises.
A la fin de ce cycle, j’entrais donc immédiatement dans le monde professionnel, d’abord dans l’informatique, et assez rapidement en tant que responsable d’équipe et de département pendant 10 ans et ensuite, une volonté clairement affichée d’en faire plus pour l’humain, me fit passer dans les ressources humaines pour apprendre et essayer, à mon niveau, de faire changer certaines choses que j’estime malsaines en entreprise comme le fait de ne considérer les travailleurs que comme des « ressources » ou encore de « trier » ou « classer » les gens selon un « potentiel » qui n’existe que dans les bouquins de management, critiquer les méthodes de recrutement et proposer des améliorations et enfin, redonner sa place à l’humain dans la gestion des équipes et mettre en sourdine, ou tout du moins au second plan, tous les discours sur les performances ou la productivité.
Durant plusieurs années, je me suis contenté de ces acquis pour vivre ma foi de manière intime et « limitée » mais ma curiosité naturelle, le fait de devenir homme, citoyen, époux, père et toujours cet appel intérieur résonnant au fond de moi m’ont donné envie de replonger dans les études et d’en savoir plus afin de mieux comprendre mais aussi transmettre.
J’ai donc essayé d’apporter ces valeurs d’honnêteté, d’intégrité, d’équité à ma vie, tant sur le plan professionnel que privé avec plus ou moins de succès.
Le bon comportement, ou en tout cas, ce que j’ai essayé d’appliquer tant bien que mal, a toujours été mon compagnon de route.
Les valeurs justice et solidarité sont également venues de ces expériences spirituelles et de cet apprentissage de la religion via le coran et la tradition prophétique dans son essence.
Dans ce cadre-là, j’ai aussi fait des rencontres éclairantes dans le domaine académique qui m’ont permises d’encore grandir intérieurement, de m’ouvrir au débat d’idées et d’en apprendre plus, sous d’autres angles. Tout en sachant qu’il me faudra plus qu’une vie pour apprendre tout ce que je souhaiterais sur ma religion 😊.
Mais ce que m’a surtout apporté l’islam, est cette capacité à travailler à une réforme intérieure pour pouvoir avoir un impact extérieur. Penser son « soi » en fonction de son prochain et de la société dans laquelle on vit et non plus en fonction de son ego souvent démesuré et parasite d’une libération de l’âme pour espérer un jour atteindre la félicité.
Cela m’a aussi permis de prendre du recul sur la manière dont la société à l’échelle nationale, globale, sociale, économique et financière souhaite nous embrumer le regard et l’esprit en réintroduisant le concept des jeux de Rome à la sauce « surconsommation » afin de détourner l’Humain de ses véritables buts : la préservation de la vie, la protection de la planète, la découverte et l’aide de son prochain.
Voilà donc pourquoi depuis plusieurs années maintenant, je milite dans des domaines tels que la lutte contre la radicalisation ou l’islamophobie. J’ai rejoint plusieurs a.s.b.l. dans ce cadre-là dont deux qui prônent le vivre-ensemble.
Je suis également membre d’un collectif ayant ouvert un centre culturel et cultuel et nous travaillons ensemble avec les autorités communales et les autres cultes pour rendre notre religion plus accessible et avec une image plus objective que celle que certains médias veulent en donner.
Je travaille occasionnellement avec la fédération des mosquées de Bruxelles pour tenter de faire avancer les choses de l’intérieur parce qu’il y a autant, si pas plus, de travail à faire à l’intérieur de la communauté qu’à l’extérieur de cette dernière.
Il y a quelques années, j’ai également repris des études dans plusieurs domaines, tant sur le plan social que religieux, qui me permettent aujourd’hui de pouvoir accompagner des gens en tant que coach sur différents aspects de leur vie, professionnel et privé.
Ma rencontre avec Euroislam est très récente et aujourd’hui limitée à une personne, son responsable, Denis.
D’abord virtuelle via une simple connexion Facebook, je me suis ensuite intéressé à ce qu’ils pouvaient proposer, travaillant moi-même dans le développement et le suivi de convertis pour le centre avec lequel je travaille. Le premier contact plus concret s’est fait dans le cadre du documentaire « Tous les chemins mènent à la Mecque ».
Enfin, à la relecture de cet humble récit (merci Denis 😊), j’ai eu l’idée du titre, tiré d’une citation de Gandhi. Il n’y a ici aucun prosélytisme mais juste un rappel aux êtres humains que le changement ne peut se voir sur terre, dans le comportement des gens, que si on change d’abord notre façon d’être et de vivre en profondeur, en tant que sœurs et frères en humanité et citoyens du monde. Apprenons à faire briller ensemble nos lumières intérieures pour faire de ce monde, un monde meilleur.
Alain – avril 2020