Détails
Prénom: Franck
Nom: Hensch
Naissance: 1978
Conversion: 1996
La petite mosquée dans la prairie
As-salâm alaykum, bonjour,
Je me prénomme Franck, j’ai 43 ans et je suis à ce jour marié et père de trois enfants… louange à Dieu.
J’ai grandi dans une famille somme toute assez classique (mes deux parents, mes deux sœurs et moi-même) dans laquelle la foi n’avait pas spécialement de place, si ce n’est peut-être un peu chez mes grands-parents.
J’ai vécu une enfance agréable et une adolescence assez équilibrée même si je fus un peu perturbant, voire le perturbateur attitré de la classe à l’école parfois. Au-delà de ça, tout va bien, et je n’ai pas souvenir d’avoir eu des questionnements existentiels durant cette période de ma vie.
À 17-18 ans, je ne savais pas trop où j’allais. Autant je n’avais pas de souci fondamental, comme beaucoup de jeunes sans doute à cet âge-là, autant je n’avais pas toujours un encadrement pour m’orienter vers une voie professionnelle ou autre.
Jusqu’au jour où dans une famille d’origine marocaine de mon entourage survint un malheureux accident de la route dans lequel certains membres décédèrent. L’un d’eux étant encore à l’hôpital, je lui rendis visite. Dans la salle d’attente, où ils avaient beaucoup de monde, on discute un peu de la mort, de la vie, de tout ce qu’il y avait autour de cet événement. C’est en cette occasion que le sujet de Jésus « fils de Dieu » ou « non » vient à être discuté. Question qui restera à ce moment-là sans réponse.
Etant de nature très curieux, lorsqu’une question me taraude l’esprit, je ne dors pas tant que je n’ai pas trouvé la visse pour refermer le sujet, quel qu’il soit. Et c’est là, non pas dans une démarche de quête spirituelle dans un premier temps, mais plutôt pour apaiser ma curiosité, que cette question m’interpelle. Je me rendis dès lors à la bibliothèque communale prendre une copie en français du Coran et récupère une Bible chez mes grands-tantes.
Cela prendra un peu de temps pour parcourir l’entièreté des deux, mais je constate que j’accroche plus au Coran sans réellement pouvoir mettre des mots sur ce choix du cœur.
Je pense m’être personnellement plus retrouvé dans le Coran car beaucoup de versets m’ont parlé directement d’un point de vue humain. Enormément d’éléments m’y interpellaient au niveau de ma conscience, de ma raison, de mes valeurs, de ma nature… en termes de partage, de respect, de vision du monde qui dépasse la superficialité des apparences pour rechercher la profondeur derrière toute chose. J’y ai découvert beaucoup de parties de mon être intérieur, de mon humanité finalement.
Je l’ai d’ailleurs relu trois fois. C’est ensuite que j’ai commencé à m’intéresser peu à peu à cheminer vers l’islam.
Il m’est difficile de pointer un moment clé dans mon parcours. Au bout d’à peine quelques semaines, sans pour autant me définir comme musulman, je ressens, avec mes premières lectures, des changements dans mes besoins. Des habitudes qui me plaisaient beaucoup auparavant, comme sortir le week-end pour changer un peu du train-train quotidien, ne me parlaient plus du tout. Evidemment, socialement, un chamboulement s’opère petit à petit en termes de relations et d’amitié.
Au début c’est plutôt un cheminement humain où je me retrouve dans certains concepts et valeurs mais je ne me mets pas martel en tête pour autant. La transition vers la version évoluée de moi-même est lente, je fais encore ce dont j’ai envie car je ne me sens pas encore adhérant à une religion en tant que telle avec des rites et des principes un peu plus rigides.
Malgré cela, de fil en aiguille, de réflexion sur moi en découverte de ma propre personne, j’arrive, au bout de deux ou trois années de recherches informatives et de parcours intérieur, à la conclusion que je suis sans doute musulman. Voilà comment s’est produite ma rencontre avec l’islam. Loin d’être une quête spirituelle, ma conversion fut plus l’aboutissement d’un cheminement, d’une évolution vers mon Moi profond qu’une révolution philosophique (en tout cas dans un premier temps bien sûr). Ce choix est devenu naturellement une évidence pour moi. C’est pourquoi, en toute objectivité, il m’est très difficile de vous présenter une date précise de ma “conversion”.
Après quelques années de parcours un frère m’amène à la mosquée de Verviers. Ce jour-là, je suis jeté en pâture devant le public pour faire ma profession de foi (la shahada). Comme si c’était le jour de mon salut alors que ça faisait presque deux ans que je priais, donc autant de Shahada, que j’avais déjà prononcées, deux jeûnes du mois de Ramadan et que mon cœur était empli de foi en Dieu depuis un bon bout de temps.
Avec les années, je sais maintenant que c’est malheureusement une expérience partagée par nombre de convertis, et reproduite encore régulièrement de nos jours sans mauvaise intention probablement, mais surtout sans précaution, sans empathie et sans adaptation au regard du nouveau musulman, de sa personnalité, de sa culture, de ses besoins.
En commençant à rencontrer et fréquenter la communauté, je reçois des sons de cloche à droite à gauche sur toute une série de questions très périphériques, qui devraient être relues d’ailleurs à la lumière de notre contexte, comme les salutations hommes/femmes par exemple. Ces aspects, complètement futiles à ce stade de mon cheminement m’obligent à adopter des stratégies identitaires à la limite d’une attitude schizophrénique entre le monde de la mosquée, où il ne faut soi-disant même pas serrer la main d’une femme, et ma sociabilité au village, où la bise était la norme coutumière. Je me rends compte avec le recul que parfois j’en suis venu, à tort, à m’éloigner de mes racines et à créer une forme de rupture dans mes relations à mon environnement proche par crainte d’être confronté à ces éléments totalement secondaires par rapport à mon évolution spirituelle.
Trop souvent, face à une personne venant de se convertir, certains agissent en l’infantilisant, abordant ses besoins de manière inadaptée pédagogiquement, s’attardant souvent sur les détails et aspects pratiques. Ainsi, sans s’en rendre compte, ils font fi de sa vision de l’islam, de ses connaissances sur l’esprit du message et ne l’aident pas à pouvoir se construire afin d’être pleinement musulman et pleinement fidèle à lui-même et sa culture. Moi-même, malgré mon esprit rebelle et critique de base, je me suis fait avoir pour le changement de prénom. Demande qui n’est mentionnée dans aucun texte religieux et qui contribue à faire sentir au converti qu’il doit se séparer d’une partie de lui-même.
Cheminer et avoir accès à une formation de qualité sur l’islam est donc un défi dans notre réalité. Souvent, voire la majorité du temps, le flot d’informations de toute part et de toute sorte sur la mise en pratique nuit et amenuise une réelle éducation philosophique basée sur des outils, des clés de lecture permettant de cheminer par soi-même, de trouver les réponses à ses questions, ou en tout cas à la plupart de celles-ci. Ce qui va réellement permettre d’acquérir une vision claire du message et de pouvoir mettre son cœur au diapason.
Les suites de ma conversion, survenue pas à pas, n’ont pas engendré de changement drastique du jour au lendemain. Je ne me suis pas du tout présenté comme musulman dans les premiers mois, voire les deux premières années de mon cheminement. J’ai aussi eu la chance de me convertir à une époque où l’islam ne faisait pas gagner des élections et d’avoir pu rencontrer dans mon village de belles familles musulmanes qui m’ont marqué par leur ouverture et leurs valeurs. Puis arrivé à Verviers, j’ai pu rencontrer rapidement des personnes investies, humaines et chaleureuses qui ont pu m’aider à cheminer sainement en mettant l’accent sur l’éducation, le juste-milieu et une lecture de l’islam compatible avec notre époque.
Ceci dit avec le temps, il y a des changements évidents au niveau de nos microsystèmes, avec les amis dont j’ai déjà parlé et notamment avec la famille, parce que la pratique de l’islam est difficilement discrète à partir du moment où l’on s’impose une certaine rigueur. Donc, dans une petite maison absente d’emprunte spirituelle, l’islam devient vite un intrus. Il y a des bouleversements alimentaires, périodiquement des réveils très matinaux qui peuvent potentiellement déranger ceux qui ont le sommeil léger. Ceci dit, j’ai eu la chance d’avoir une famille assez ouverte par rapport à tout ça. Je n’ai pas eu de souci marquant, si ce n’est de petites incompréhensions mutuelles sans gravité.
Au niveau professionnel, je n’ai pas eu trop de complication. Après un premier emploi d’animateur au cœur du quartier populaire de Verviers, j’ai pu postuler pour un poste de professeur de religion islamique. Cette fonction collait évidemment parfaitement avec ma nouvelle identité spirituelle. J’ai occupé ce poste durant trois années avant d’avoir l’opportunité de partir à l’étranger (avec mon épouse) pour approfondir mes études en théologie. Après mes études en théologie (que j’ai pu continuer par la suite en combinant travail et études), j’ai eu la chance de me voir proposer par le plus grand centre islamique de Wallonie un poste d’imam que j’ai accepté avec joie. Car cette mosquée de Verviers était le lieu dans lequel j’avais pu évoluer dans ma spiritualité et mon investissement communautaire. Je suis dès lors devenu le premier converti à être désigné comme imam reconnu (c’est-à-dire dont le salaire est pris en charge par l’état) en Belgique.
Au-delà de ça, il est vrai que durant les débuts de mon cheminement, il y eu bon nombre de moments de solitude, notamment lors des soirées de Ramadan et de fêtes passées seul dans ma chambre à imaginer le reste de la communauté en effervescence.
Revenons aux éléments qui ont stimulé mon cheminement. Comme c’était avant les événements du 11 septembre 2001, on ne parlait pas beaucoup de l’islam, en tout cas moins qu’aujourd’hui, et certainement autrement. Le net était encore à ses balbutiements, il n’y avait pas encore YouTube. Donc peu d’accès rapide et facile au savoir, ce qui n’était pas plus mal, quand j’y repense.
De surcroit, je ne vivais pas dans une ville où il y avait des mosquées et encore moins un centre islamique. Mais étant plutôt de nature entreprenante, comme dans mon village les jeunes de mon âge ne pratiquaient pas ou que trop peu la religion de leur père, je suis allé chercher le savoir là où il se trouvait, et je suis devenu au final le pote des pères. En soirée, je me souviens encore, je sortais de chez moi pour aller sonner à la porte d’un ancien prof d’arabe dont je connaissais le fils et avec qui j’avais sympathisé. J’y apprenais, entre autre, un peu d’arabe avec lui. Une belle famille et une belle personne, comme tant d’autres que j’ai pu rencontrer dans mon cheminement.
Le message du Coran m’a happé par une série d’éléments centraux :
Tout d’abord la miséricorde – verticale, de Dieu vers moi, et horizontale, de moi vers autrui et inversement – qui est pour moi l’élément principal de ce message, car Dieu se qualifie comme tel. Chaque chapitre débute de la sorte et c’est vraiment un élément qui pour moi est essentiel dans la manière dont je perçois déjà Dieu, dans l’absolu, et donc ce message et ce qu’il devrait pouvoir m’apporter.
Mais également la justice et l’équité parce que ce message appréhende chacun selon ce qu’il est, ses capacités, ses limites.
Puis l’intelligibilité et la sagesse qui interpellent le cœur au même titre que la raison, et où les éléments demandés sont porteurs de sens.
Ensuite l’universalité du message qui en fait le message absolu du vivre ensemble. Le mot « Umma » est d’ailleurs trop souvent utilisé de manière restreinte aux musulmans or dans le coran, ce mot « communauté » se réfère le plus souvent à une communauté humaine universelle. C‘est donc un défi aussi pour nous parce que vivre son islam en Belgique, c’est aussi toute une autre manière de le penser de le concevoir et de l’appréhender.
Et pour finir cette liste non exhaustive, la pratique de la spiritualité qui en tant qu’aspect immatériel de la vie est nécessaire pour vivre, même si ce n’est qu’un outil au service d’autres choses plus profondes, plus importantes que l’on ressent à l’intérieur de soi.
Ce message, l’islam, m’a justement permis de découvrir, de développer pas mal de ses aspects, par sa mise en pratique qui induit un travail sur soi. J’essaye de vivre ma religion de manière plus spirituelle que purement rituelle. Les rites sont importants, mais ils sont surtout importants en tant que source de cheminement et pas comme une fin en soi, comme c’est parfois le cas je pense autour de moi.
De manière beaucoup plus profonde, l’islam m’a apporté une redéfinition de mes objectifs et du sens de ma vie, et un apaisement intérieur certain. A travers mon parcours de foi, j’ai rencontré beaucoup de gens formidables, dévoués,… mais surtout une femme exceptionnelle.
L’islam m’a permis de grandir et a donné un goût de bonheur à mon quotidien, aussi bien au travers de tout ce que j’ai pu faire que de tous ceux que j’ai pu rencontrer.
La foi m’a finalement ouvert énormément de portes à un niveau personnel, intellectuel, spirituel, fraternel et professionnel. J’ai pu découvrir beaucoup de pays du monde et goûter à beaucoup de belles choses à travers mon investissement communautaire et mes recherches théologiques.
Je pense que le fait que j’ai toujours été critique et équilibré m’a aidé dans mon parcours. Même s’il y a des petits détails que je regrette aujourd’hui. J’ai pu développer, de par mon parcours théologique, des positions plus ouvertes et plus en phase avec notre monde.
C’est pourquoi, aujourd’hui dans ma fonction d’Imam et de professeur les notions de sagesse, de sens, d’utilité, de spiritualité, de finalité des choses, de diversité et d’universalité m’interpellent au travers de ce que j’essaie modestement de transmettre.
Je pense que ce cheminement spirituel m’a apporté les éléments me permettant de me dépasser, de me libérer et d’être bien plus heureux au quotidien.
L’islam, c’est donc, pour moi, le bonheur tout simplement. Un bonheur qui nous permet d’être heureux, d’avoir l’âme apaisée, donc les idées claires sur notre environnement et les événements de notre vie, et de transmettre celui-ci autour de nous.
Franck Hensch – 2021